Médecine du travail: Ce que la loi El-Khomri se prépare encore à détruire.
La médecine du travail est l'une des cibles constantes du patronat. Loi après loi (sur "dialogue social" 2015, financement de la Sécurité sociale pour 2016, maintenant loi "travail"), rapport de complaisance à l'appui (honteux rapport du député PS de l'Isère Issindou en 2015), le gouvernement de "gauche" s'exécute.
Les visites périodiques ont encore été espacées. Les fonctions du médecin du travail, spécialiste et salarié protégé lui-même, sont toujours plus diluées et dirigées vers des services et des acteurs dépendant directement du patronat etc.
Le projet de loi El-Khomri porte une nouvelle attaque grave. Nous reproduisons ci-dessous les deux derniers communiqués du groupement "Sauvons la médecine du travail (SMLT)" dénonçant son (actuel) article 44, et démontant son esprit et ses objectifs.
Il s’agit de faciliter encore encore le licenciement des salariés ayant des problèmes de santé en levant notamment toute obligation de recherche de reclassement, même quand les salariés souffrent des conséquences d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Dans le même temps, la loi « travail » veut « en finir avec la médecine de prévention des risques professionnels, au profit d’une activité sanitaire de contrôle, de sélection et d’exclusion », ainsi que le décrypte et le dénonce le groupement SMLT qui souligne que tous les salariés, et non seulement ceux dont la santé est déjà atteinte, sont menacés.
Sur le plan politique, le démantèlement de la médecine du travail en France montre à nouveau la perversité des directives européennes et de leur application. C’est au nom d’une directive prévoyant que dans les pays de l’UE, un salarié « doit pouvoir faire l'objet, s'il le souhaite, d'une surveillance de santé à intervalles réguliers » que l’obligation faite aux patrons en France, acquis historique, de garantir l’intervention de la médecine du travail pour tous.
Les syndicats, la CGT en tête, ont placé la défense de la médecine du travail comme une des motivations premières de la mobilisation pour le retrait du projet de loi El-Khomri.
Dès la rentrée, continuons à informer et à défendre, point par point, la médecine du travail !
(PCF Paris 15, 13 juillet 2016)
Communiqué SLMT n° 40: Loi « travail » : de l’article 44, il ne faut rien garder
La loi dite « travail » vient de nouveau devant l’Assemblée nationale pour y être entérinée soit par un vote à l’arraché, soit par un nouveau coup de force au 49-3 du Gouvernement. L’acharnement du pouvoir sur ce texte, contesté depuis plus de deux mois par une majorité de Français, ne s’explique que par ses enjeux. C’est en effet l’ouverture légale à un détricotage en règle du droit du travail. Ses effets d’aggravation des conditions de travail, de diminution des rémunérations et des garanties sociales pour les uns, de redressement comptable des entreprises et des profits pour les autres, seront très rapides.
Ces mesures ont des conséquences humaines : accidents, maladies, souffrance, pénibilité, précarité et vie difficile pour des milliers de personnes et de familles.
L’article 44 de la loi « travail » supprime la visite de médecine du travail obligatoire pour tous et ouvre la voie à une médecine du travail facultative, sur demande du salarié, qui ne contraint plus l’employeur. Aujourd’hui, l’avis du médecin du travail sur la compatibilité des exigences de chaque poste, pour chaque salarié, avec son état de santé, s’impose à l’employeur. Il est vrai que les conditions de l’emploi précaire (CDD, intérim, temps partiel subi, etc.) permettent souvent de contourner ces obligations. Faut-il donc les supprimer pour cette simple raison, et, si tel est le cas, pour défendre quels intérêts ?
La réponse nous a été fournie le 21 juin 2016 par les défenseurs de la loi « travail », lors de la séance plénière inaugurale du 34ème congrès national de médecine et santé au travail. Après une intervention télévisuelle de la Ministre pour défendre, depuis son bureau, sa réforme, Jean-Marc Soulat, professeur et dirigeant du collège des enseignants de médecine du travail ouvre le sujet par une intervention sur les « clés de l’avenir de la réforme de la santé au travail ». (1) Il la centre sur les dispositions de la directive CEE 89-391 (2) en indiquant que la réforme qu’il promeut avec la loi travail « vise à mieux coller à la directive ». Or cette directive est conçue pour s’appliquer à tous les membres de l’Union Européenne, y compris ceux qui ne disposent pas de médecine du travail. Le texte européen ne formule qu’une obligation : « chaque travailleur doit pouvoir faire l'objet, s'il le souhaite, d'une surveillance de santé à intervalles réguliers ». Pour le conférencier, c’est là l’avenir de notre médecine du travail, notamment dans son caractère facultatif. Il annonce vouloir y préparer les étudiants, en diversifiant les métiers des services de santé au travail en rapport avec les perspectives qu’offre le secteur de la prévoyance.
Après cette leçon, le Professeur Sophie Fantoni-Quinton (3) co-auteur du rapport justifiant la loi « Travail » s’est lancée dans un plaidoyer libéral en faveur de la disparition de l’avis d’aptitude, de la consultation libre et volontaire pour les salariés et de la liberté de prescrire des médecins du travail.
Ni l’une ni l’autre de ces interventions n’a réellement convaincu la plupart des confrères présents, confrontés à d’autres questions, très concrètes, sur le terrain : celles posées par les salariés en souffrance et celles en rapport avec leurs propres conditions et moyens de travail, qui ne leur permettent ni d’y répondre ni de satisfaire les exigences déontologiques et techniques de leur exercice.
Les Journées de Médecine du Travail ont toujours été l’occasion d’expressions diverses sur l’avenir de la profession. Aujourd’hui, l’importance de l’enjeu qu’est la disparition pure et simple de la médecine du travail, apparaît clairement dans les propos de ceux qui soutiennent cette évolution. Les difficultés auxquelles ils sont confrontés pour la faire accepter sont à la mesure de leur éloignement des intérêts de la santé des salariés, de ceux des professionnels de la santé au travail, et, plus généralement, de ceux de la Nation. Il n’y a aucune raison de les laisser faire.
SLMT le 28 juin 2016
- Les référentiels métiers de la multidisciplinarité, clés de l’avenir de la réforme de la santé au travail page 455 Arch. Mal. Prof. Env. 2016 ;77 : 361-1775
- CEE 89-391 12 juin 1989 Section IV, dispositions diverses, Article 14, Surveillance de santé
<>3.Quelle évolution juridique pour le spécialiste de santé au travail de demain ? page 456 Arch. Mal. Prof. Env. 2016 ; 77 : 361-1775
Communiqué SMLT n°39 - Protéger les employeurs des salariés dangereux pour l’entreprise...
C’est, à en lire le projet de loi dit « El Khomri », une des préoccupations principales actuelles du dernier gouvernement Hollande.
Le projet de loi met en œuvre les éléments les plus contestés du rapport S. Fantoni Quinton. Ce sont les mêmes qui sont encore à la manœuvre pour introduire dans la loi la deuxième série d’amendements que le député M. Issindou n’avait pas réussi à faire accepter par la Commission Sociale de l’Assemblée Nationale. C’est aussi le même député C. Sirugue qui rapporte les dispositions refusées il y a un an, lors du vote de la loi dite « du dialogue social ». Cet entêtement s’effectue au mépris des oppositions exprimées par les députés et les sénateurs à l’époque, par la quasi-totalité des syndicats de médecins du travail (CFDT exceptée) et par les manifestations des premiers concernés : les salariés (pétition SLMT).
Ce qu’ils veulent ainsi nous faire accepter, ce sont de nouvelles facilités pour les employeurs de licencier les salariés ayant des problèmes de santé. Comme la suppression du CDI au profit de CDD toujours plus courts et plus précaires est encore trop difficile à imposer, ils s’en prennent aux malades, aux handicapés, aux personnes ayant des difficultés de santé. C'est-à-dire à nous tous. Car il est bien imprudent, celui qui pense pouvoir travailler jusqu’à 65 ans sans être concerné par des problèmes de santé.
Le texte de Madame la Ministre El Khomri permettrait de licencier plus facilement les salariés fragiles en libérant l’employeur de ses obligations réglementaires (chercher un emploi compatible avec la santé). Il suffirait pour cela que le médecin du travail écrive « que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise », et cela pour tous les problèmes de santé (L.1226-12 alinéa 2°), même s’ils sont dus à un accident du travail ou une maladie professionnelle (L.1226-20 alinéa 2°). Cette possibilité n’a aucune justification. En effet, aujourd’hui, un employeur peut sans difficulté licencier un salarié médicalement inapte à son poste et qui ne peut plus en occuper un autre ou bénéficier d’un aménagement de ses conditions de travail en rapport avec son handicap. C’est même malheureusement l’issue de la majorité des cas. Mais il est quand même obligé de chercher une solution de maintien dans l’emploi. C’est cette obligation (de chercher mais pas de trouver) que le texte El Khomri permettrait d’éviter aux employeurs.
Ainsi, pour le gouvernement actuel, permettre aux employeurs de licencier plus vite, plus facilement les salariés malades, les handicapés, ceux qui souffrent du fait des exigences de poste de travail inadaptées, y compris les victimes d’AT-MP, serait un impératif.
En plus, cette innovation législative pervertirait la fonction médicale. Aucun critère médical ne permet d’affirmer que le « maintien » d’un « salarié dans son entreprise » est « gravement préjudiciable à sa santé ». C’est l’absence de possibilité d’aménagement ou de changement de poste qui conduit l’employeur, et non pas le médecin, à décider que l’emploi ne peut pas être conservé. Le médecin du travail se prononce sur l’aptitude médicale au poste, c’est-à-dire sur l’absence de risque pour la santé du poste auquel l’employeur a décidé d’affecter le salarié en question. Il ne choisit pas l’affectation des salariés, il ne décide pas des aménagements de poste.
Même dans l’hypothèse où le salarié avec des problèmes de santé garderait un travail, la loi El Khomri ne lui garantirait plus un « emploi » avec maintien de la qualification et du salaire, mais seulement un « poste ». Ainsi le texte El Khomri prévoit de remplacer partout ces deux termes. Par exemple, l’article L.1226-10 est ainsi modifié : « Lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail [ ] à reprendre l'emploi le poste qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi poste approprié à ses capacités. [ ] « L'emploi Le poste proposé est aussi comparable que possible à l'emploi celui précédemment occupé ».
La deuxième innovation de la loi consiste à en finir avec la médecine de prévention des risques professionnels, au profit d’une activité sanitaire de contrôle, de sélection et d’exclusion. Les salariés seraient classés en deux catégories. Ceux qui pourraient être dangereux pour l’entreprise auront une visite médicale de sélection à l’embauche, de contrôle pour écarter ceux dont l’état de santé entraîne un « risque d’atteinte à sa santé ou sa sécurité, celles de ces collègues ou des tiers évoluant dans l’environnement immédiat de travail. [ ] Cet examen médical d’aptitude [ ] est effectué par le médecin du travail sauf lorsque des dispositions spécifiques le confient à un autre médecin » (L. 4624-2). Les autres, c’est-à-dire la grande majorité des salariés, bénéficieront « d'un suivi individuel de son état de santé [ ] par le médecin du travail et, [ ] par les autres professionnels de santé [ il ] comprend une visite d'information et de prévention effectuée après l'embauche [ ] Les modalités et la périodicité de ce suivi prennent en compte les conditions de travail, l'état de santé et l'âge du travailleur, ainsi que les risques professionnels auxquels il est exposé. » et de l’âge du capitaine.
Les salariés seront sélectionnés à l’embauche pour obtenir un « permis de travail » dans les « postes stratégiques » de l’entreprise. Ils seront vaguement informés de leurs risques professionnels pour les autres. De plus, ils seront facilement et rapidement licenciés en cas de problèmes de santé mettant en cause la capacité à réaliser une des tâches de leur poste ; c’est l’avenir social selon les promoteurs du texte dit « loi travail ».
L’article 44 de la loi El Khomri concerne tous les travailleurs de France, car en facilitant le licenciement des personnes en difficulté de santé, y compris les victimes d’AT-MP, et en dégradant encore plus la surveillance et la prévention médicale des risques professionnels, elle va provoquer presque mécaniquement une aggravation des conditions de travail, de leur dangerosité et de leur insécurité. Les employeurs seront encore plus libérés des quelques obligations qu’ils doivent encore respecter, le plus souvent dans leur forme. Les salariés seront considérés, comme le font les promoteurs de la loi, comme « suffisamment adultes » pour tirer eux-mêmes les conclusions de leurs difficultés de santé et de leurs conséquences sur leurs « capacités de travail».
En ce sens, l’article 44 de la loi, malgré son aspect technique, est un texte politique aux graves conséquences. C’est tout le contraire d’une loi « travail ». En effet, non seulement elle tourne le dos à la justice sociale et à la simple humanité, mais aussi à la nature même du travail, qui implique, en même temps que les progrès techniques, technologiques et industriels, un recul de l’insécurité, des menaces et des incertitudes concernant la santé et la sécurité des travailleurs.
La loi El Khomri doit être renvoyée aux oubliettes. Ou alors, il faudra s’attendre à la parution de nouveaux textes indispensables pour faire disparaître les résultats de celle-ci en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, de perte d’un emploi non retrouvé par la suite, et de misère sociale. Ils sont déjà probablement dans les cartons du MEDEF, quand ils ne sont pas déjà expérimentés dans les entreprises. Cette régression de civilisation n’est qu’une pure option idéologique, elle n’a aucune justification rationnelle. Il y a d’autres options qui permettent de protéger les travailleurs contre les risques professionnels, d’éviter d’exclure du monde du travail les personnes en difficulté de santé et de permettre à tous les travailleurs d’y rester dans de bonnes conditions.
Le 28 avril 2016
Groupement national Sauvons la médecine du travail
Vous pouvez consulter le dernier communiqué de presse du CNOM : https://www.conseil-national.medecin.fr/node/1711
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