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Projet de loi sur l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics: intervention de Marie-Claude Beaudeau, sénatrice comuniste - 2 mars 2004

10 Mars 2004 , Rédigé par PCF - Section Paris 15ème Publié dans #Education nationale

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, c'est après mûre réflexion que je m'apprête à voter ce projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et bien consciente du caractère insuffisant, parcellaire de ce texte et des arrière-pensées possibles de ses concepteurs.
 
Mais si l'opportunité d'une loi pouvait faire question, reculer aujourd'hui serait donner raison à ceux qui utilisent la démocratie et les lois de la République pour mieux les combattre.
 
Depuis que la question a fait irruption pour la première fois dans le débat public, en 1989, bien après l'arrivée de populations originaires de pays où la religion musulmane est dominante, je n'ai cessé de m'opposer au port du foulard dit « islamique » à l'école et de penser que cette pratique devait y être proscrite.
 
Le voile imposé à certaines jeunes filles est peut-être une prescription religieuse ; il est avant tout le symbole, le plus souvent revendiqué comme tel par ses promoteurs, ses exégètes devrais-je dire, de l'inégalité entre les sexes, de la soumission des femmes, de la négation de leur droit à choisir leur vie, à assumer leur liberté, à disposer de leur corps.
 
Il participe activement d'une volonté de ségrégation, de discrimination. Des femmes se battent, sont agressées, sont assassinées dans le monde, parce qu'elles refusent de le porter : nous ne pouvons l'oublier.
 
Nous ne pouvons non plus nous méprendre, comme l'explique l'écrivaine iranienne Chahdortt Djavann : ce voile pour les petites Françaises est le même que celui dans lequel les mollahs enturbannés enferment les femmes en Iran, en Egypte et au Maghreb.
 
Citoyennes, nous nous souvenons de n'avoir acquis le droit de vote qu'en 1944, le droit de nous émanciper financièrement que dans les années soixante.
 
Nous pouvons d'autant moins tolérer cet appel à la subordination de la femme, à la régression démocratique et civilisationnelle au coeur même du lieu de la formation à l'esprit critique : l'école de la République.
 
C'est la première raison qui, presque viscéralement, m'amène à voter cette loi.
 
L'édifice législatif actuel aurait peut-être pu suffire à interdire le voile à l'école et à nous épargner ce débat empoisonné qui, depuis des mois, a contribué à dresser une tribune aux propagandistes du voile.
 
Mais maintenant que ce débat a eu lieu, il faut le clore en toute clarté.
 
C'est le manque de fermeté de la part des gouvernements successifs, la jurisprudence hésitante de l'avis du Conseil d'Etat de 1989 qu'il faut corriger. Il est essentiel que soit réaffirmée la norme républicaine. A ce titre, le voile ayant une signification dépassant une éventuelle affirmation religieuse, je considère qu'il doit être interdit de la même façon dans les établissements scolaires privés, confessionnels ou non.
 
Ce projet de loi ne le prévoit pas. C'est une lacune majeure.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Voilà !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je sais que les motivations des jeunes filles qui voudraient porter le voile à l'école sont diverses, mais il est irresponsable d'y voir une manifestation de la liberté individuelle qu'il faut respecter. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
 
S'il se trouve des jeunes filles, en crise d'adolescence, qui portent le voile uniquement par effet de mode, ce dont je doute, cela leur passera avec la loi. Un point, c'est tout ! Ce qui importe, c'est de protéger celles à qui on veut l'imposer.
 
La loi aidera l'éducation nationale à affranchir les plus nombreuses de la pression d'un entourage induit à confondre tradition et maintien de pratiques rétrogrades.
 
Si, comme c'est parfois le cas paradoxalement, certaines jeunes filles trouvent refuge dans l'extrémisme religieux, dans la servitude volontaire pour échapper à cette pression quotidienne parfois violente, l'école ne peut pas accepter cette impasse dangereuse.
 
Enfin, concernant la petite minorité de jeunes activistes endoctrinées, capables à treize ans de réciter par coeur la jurisprudence du Conseil d'Etat, notre devoir de républicains est de combattre l'idéologie sectaire des individus qui les manipulent. Nous serions naïfs de ne pas voir leur ombre derrière l'ensemble du phénomène.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Certains objectent aussi qu'on ne peut accepter une loi qui risque d'exclure.
 
Je crois plutôt que, dans la majorité des cas, elle va protéger.
 
L'exclusion, c'est le port de ce hidjab qui, pour reprendre la traduction littérale, « met physiquement derrière un rideau » les cheveux, les oreilles, le cou des jeunes filles et entend les isoler moralement de l'apprentissage de l'esprit critique qui est à la base de l'enseignement laïque.
 
L'immense majorité des jeunes filles, des femmes originaires de pays musulmans, des musulmanes, des musulmans aussi, le refusent.
 
Devant l'offensive, dont nous ne pouvons plus ignorer la réalité, d'un islamisme politique qui sait se jouer de la détresse sociale et des attaches culturelles pour répandre son idéologie faite d'intolérance et de sexisme, la réaffirmation officielle de la norme à l'école ne peut que les renforcer dans leur résistance.
 
Les « affaires » de voile doivent cesser de fournir un instrument politique à l'islamisme organisé. Elles doivent aussi cesser d'alimenter les provocations à l'encontre de l'éducation nationale, de la laïcité. Je refuse de tolérer l'intolérable.
 
Oui, il fait partie de la mission pédagogique de la communauté éducative d'expliquer à chaque jeune fille, en prenant tout le temps nécessaire, ce que sont les valeurs communes d'égalité, de liberté, de « vivre ensemble » que l'école laïque se doit de transmettre.
 
Non, il est inacceptable - et je comprends l'exaspération des enseignants et des chefs d'établissement - d'avoir à « négocier » sur le dos des enfants avec des lobbys islamistes fortement organisés.
 
La loi risque-t-elle, vise-t-elle même à « stigmatiser » les personnes originaires des pays musulmans ? Il m'est inconcevable, en tant que militante antiraciste, de reprendre à mon compte l'assimilation d'une partie de la population de notre pays, française ou étrangère, à une religion et, encore moins, l'assimilation de cette religion à un courant politique extrémiste qui s'en réclame.
 
Permettez-moi d'abord une remarque. La nation française est indivisible et n'est donc pas divisible en religions réelles ou supposées. C'est pourquoi je refuse catégoriquement l'utilisation du vocable « Français musulman ». Il porte en lui-même une idée de ségrégation. Vous viendrait-il à l'esprit, mes chers collègues, de vous classer en Français catholiques, Français protestants, Français juifs et, si par hasard on ne les oubliait pas, Français athées ? Non, bien sûr ! Alors pourquoi devrait-on faire cette distinction pour certains de nos concitoyens, comme à la plus belle époque de l'Algérie française ?
 
Oui, c'est indéniable, la loi vise prioritairement le port à l'école du voile dit « islamique », dont la prescription a d'ailleurs toujours été très contestée parmi les musulmans.
 
Oui, il est également indéniable que les Français et les étrangers vivant en France originaires des pays musulmans sont souvent les premières victimes de l'exclusion sociale, de discriminations multiples, du chômage, du mal-logement, de vexations policières, du racisme...
 
L'injustice sociale et les discriminations nourrissent les replis communautaires et constituent le terreau de la poussée islamiste. S'attaquer résolument aux causes est primordial, et c'est l'une des raisons d'être de mon engagement politique. Cela ne peut pas nous exempter de combattre aussi les effets quand ils remettent en cause des acquis comme l'égalité des sexes ou le principe de laïcité.
 
J'ai peu abordé jusqu'à présent le concept de laïcité, acquis historique de notre peuple depuis la Révolution et la séparation des Eglises et de l'Etat, considérant que le voile n'est pas principalement un signe religieux.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je ressens néanmoins la nécessité de quelques rappels dans ce débat.
 
Non, la laïcité, ce n'est pas l'oecuménisme, la neutralité bienveillante de l'Etat envers toutes les religions.
 
Profondément athée, je me retrouve dans les luttes sociales en parfait accord avec des croyants, des prêtres ouvriers parfois, des musulmans très souvent. La liberté de conscience doit être totale dans notre pays, et je serai la première à la défendre.
 
Mais la laïcité, c'est la séparation stricte entre l'espace public, la vie de la cité et la religion ramenée à son seul domaine : la spiritualité dans la sphère privée. L'acquis historique de 1905, presque unique dans le monde, c'est d'avoir remis les religions et leurs clergés à leur place et d'avoir coupé court à leurs prétentions politiques dans le siècle.
 
Monsieur le ministre, je tiens à le dire pour conclure, je ne vous fais pas confiance pour défendre la laïcité et pour appliquer fermement cette loi, sachant que les mots « ostensible » et même « signe » prêtent à interprétations diverses.
 
Si vous vous faites passer habilement aujourd'hui pour les protecteurs de la laïcité, rappelons que le ministre de l'intérieur a fait complaisamment la publicité d'un théologien obscurantiste qui s'évertue à justifier la lapidation des femmes et qui a donné une place institutionnelle à une organisation ouvertement intégriste.
 
Monsieur le ministre, votre politique affaiblit l'école laïque, ce formidable outil d'intégration et de cohésion nationale. C'est notamment le cas quand vous fermez des centaines de classes, quand vous supprimez des milliers d'emplois, quand vous encouragez l'intrusion dans les lycées du monde de l'argent avec ce jeu d'initiation à la bourse, promu par une banque : les « masters de l'économie ».
 
L'ensemble de la politique du Gouvernement - sa politique de ségrégation urbaine, de casse des services publics et des acquis sociaux, son idéologie de promotion de l'intérêt privé contre l'intérêt général - ne fait qu'élargir la fracture sociale, reculer les valeurs républicaines, dont la laïcité, et fait le jeu des communautarismes.
 
C'est donc sans vous donner quitus sur rien, monsieur le ministre, que je voterai cette loi, qui n'est, pour le Gouvernement, qu'une loi de circonstance, mais qui est pour moi un outil devenu nécessaire de la défense de l'égalité des sexes, de la liberté de conscience et des valeurs républicaines. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

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