Sauvons la médecine du travail ! - APPEL
Nous publions ci-dessous l’appel du Collectif national « Sauvons la médecine du travail ». Il alerte sur la perspective prochaine, d’ici juin, de graves « réformes » et appelle les professionnels, les salariés à se mobiliser dès à présent.
Depuis des années, les gouvernements successifs organisent le non-renouvellement démographique des médecins du travail. Prenant prétexte de ce passif, le ministère tente d’aller plus loin, de briser les fondements de la loi du 11 octobre 1946. Il est notamment question de supprimer la visite régulière obligatoire pour tous les salariés au sein même de l’entreprise. La santé des salariés devient toujours plus une « variable d’ajustement » du profit capitaliste. Chasser la médecine du travail de l’entreprise, c'est tuer la médecine du travail et laisser les patrons tout puissants, dans le contexte que l’on connaît d’exploitation renforcée et de chômage de masse.
L’Appel souligne l’actualité des principes de la médecine du travail, ce que cette discipline spécifique a permis de développer au service du monde du travail et de la santé publique depuis 1946 et que le pouvoir et le patronat veulent liquider.
Il s’adresse aux praticiens mais aussi aux syndicalistes, aux membres des CE, des CHSCT, aux salariés en général. Il incite à défendre l’acquis, et pour cela, à se battre pour l’améliorer, pour utiliser beaucoup mieux tout ce que la médecine du travail peut représenter pour la défense des salariés.
A ce titre, la bataille pour sauver la médecine du travail fait pleinement partie des luttes prioritaires de la période.
Sauvons la médecine du travail !
Par le Collectif national SLMT
APPEL (lien vers la version PDF)
La survie de la médecine du travail telle qu’elle s’est développée et enrichie depuis sa création est aujourd’hui remise en cause par des projets de réforme. Sous prétexte de réformer l’organisation de la médecine du travail, qui en a certainement besoin, de tout côté on nous propose des changements si profonds et apparemment si contradictoires qu’ils n’aboutiront, s’ils voyaient le jour, qu’à liquider notre spécialité médicale. Deux risques menacent.
D’abord celui de laisser la pénurie de médecins du travail détruire les institutions et la discipline faute d’acteur. Si le déficit démographique attendu est beaucoup plus grave que pour les autres disciplines médicales, c’est parce qu’il est organisé depuis des années. La pression qu’il provoque tient lieu de moteur et de justification aux abandons successifs, aujourd’hui présentés comme les seules réponses possibles à la crise. Pourtant, ce déficit n’a rien d’inéluctable. Notre exercice possède bien des attraits modernes et s’il cessait d’être décrié trouverait des candidats. Toute modernisation de la médecine du travail implique l’affirmation préalable de son importance en tant qu’exercice médical clinique, exclusivement préventif, à la fois spécialisé et systématique, au bénéfice de tous les salariés, nécessaire enfin à la validité du contrat de travail.
Le deuxième risque est lié à l’utilisation de cette situation pour en finir avec les éléments spécifiques de notre exercice. Ce sont les principes fondateurs de la médecine du travail issus de la loi du 11 octobre 1946 qui sont visés.
Il s’agit d’abord de la nature même de notre spécialité : son caractère exclusivement préventif, son objet particulier (le travail, ses conditions et ses conséquences sur la santé) sa clinique spécifique. Les propositions qui nous sont faites : visites tous les 4 ans, facultatives, sans lien avec le contrat de travail, sont toutes fatales à notre exercice.
Or, cette remise en cause survient alors que la demande de sécurité au travail est plus forte que jamais. Les motivations des réformateurs relèvent d’une conception caricaturale de la médecine du travail, présentée comme coûteuse, inutile, gênante, voire nuisible.
Cette conception est loin de faire l’unanimité.
Nous savons bien que la connaissance des phénomènes pathogènes liés au travail, autant que nos actions sur le milieu professionnel, requièrent une formation, une éthique, une pratique et des moyens propres à notre discipline médicale. Pour y parvenir, notre exercice clinique se déploie dans l’entreprise au plus près du lieu ou naissent et se développent les risques. Comment, dès lors, concevoir une approche médicale du travail sans examiner tous les salariés régulièrement et systématiquement tout au long de leur carrière?
L’avis médical est indispensable pour juger de la santé des salariés à leur poste de travail. Quel choix de société ferions nous si nous l’abandonnions aux seuls employeurs ? Laissant ainsi les travailleurs négocier leur santé comme ils le font de leur salaire. C’est ce qui arriverait sûrement si les visites du médecin du travail se limitaient aux examens d’embauche et aux avis d’inaptitude. Il en serait de même si, ni systématiques ni obligatoires, elles devenaient facultatives, ce qui serait contradictoire avec la prévention.
Concilier impératifs de prévention des risques professionnels, droit au travail pour tous et contraintes de production, reste d’actualité. Dans un tel dispositif, la place du médecin du travail est naturelle et nécessaire. Car si l’approche de ces situations gagne à être pluridisciplinaire, sa dimension médicale est déterminante. Or, les réformes annoncées aboutiront à la disparition des compétences médicales pour ce type d’action. Les employeurs ne seront plus contraints de modifier les conditions de travail de leurs salariés en fonction de leurs caractéristiques personnelles. Avec l’aptitude, les restrictions d’aptitude disparaîtront ainsi que les limites de validité médicale du contrat de travail. Rendant ainsi caduques les termes de l’article L. 4624-1 qui permet à chaque médecin du travail de proposer des modifications du contrat de travail au bénéfice de la santé du salarié.
Supprimer l’avis d’aptitude médicale au poste de travail, systématique et régulier pour tous, c’est contractualiser la prise de risque. C’est un contresens préventif au même titre que les concours de sécurité, la sous déclaration des AT-MP, etc.
La prévention collective des risques professionnels se pose aussi en termes d’action médicale spécialisée. D’abord parce qu’elle requiert une démarche, une éthique, une méthode. Les salariés ne doivent pas être pris pour une population captive soumise aux investigations des campagnes de santé publique, même bien fondées. L’animation médicale de campagnes de prévention qui nous est proposée ne fera pas de celles-ci des actions de prévention des risques professionnels. Pas plus que la gestion des risques ou la surveillance biométriques des paramètres de tolérance d’exposition. Cette conception normative de la prévention se heurte depuis des années aux réalités de l’entreprise.
Sans médecins du travail, qui sera en mesure de porter le point de vue scientifique dans le débat sur la prévention des risques professionnels pour la santé dans l’entreprise ? Les carences dans ce domaine rendent précieuses les interventions du médecin du travail au CE, au CHSCT lors de la discussion de son rapport annuel, dans les enquêtes après AT-MP. Faut-il laisser disparaître cet outil, dont les salariés peuvent tirer bénéfice, au motif qu’il n’est pas parfait ? Les employeurs peuvent-ils s’en dispenser ? A coup sûr, ils le remplaceront par leurs propres outils.
Faut il croire que le débat sur les risques professionnels et leur prévention n’a plus sa place dans l’entreprise ? Les structures de l’Etat, de santé publique, de concertation locale ou régionale, de gestion des assurances sociales, sont-elles les mieux placées pour imposer les mesures de prévention professionnelle ?
L’action du médecin du travail est spécifique par les liens qu’elle établit avec les salariés et leurs rapports de production. Ces derniers sont marqués par le pouvoir décisionnel et la responsabilité de l’employeur tout comme par la subordination des salariés. Eléments qui déterminent les moyens, les possibilités et la responsabilité de l’action médicale. Et qui la différencient de la santé publique, domaine dans lequel chaque citoyen conserve sa liberté de choix individuel.
Les propositions actuelles de réforme, sous des aspects contradictoires, voire parfois peu crédibles, témoignent pourtant d’une grande cohérence. Elles visent à faire disparaître un exercice médical dont l’objet exclusif est la prévention de l’altération de la santé au moyen de la mise en évidence dans les entreprises des liens entre le travail et les atteintes à la santé.
Mais cet avenir n’est pas inéluctable. Si nous en refusons l’éventualité, la disparition programmée de notre spécialité ne se produira pas. L’activisme de quelques collègues en faveur des réformes annoncées n’a pas reçu l’assentiment de la profession. Nous devons maintenant nous exprimer massivement. Il y a urgence, car dans vingt ans, le nombre de médecins, à législation constante sera identique à celui d’aujourd’hui, mais celui des médecins du travail sera réduit des deux tiers. Nous avons le devoir de ne pas laisser un tel héritage aux internes en médecine du travail d’aujourd’hui et aux travailleurs de demain. C’est pourquoi nous appelons tous nos collègues, médecins du travail, à défendre le métier en proposant un réel développement de la médecine du travail, afin de répondre aux défis que la production pose à la santé dans l’esprit des principes de 1946.
Pour s’associer avec cet appel,
Lien internet : http://sites.google.com/site/sauvonslmt/
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