Démantèlement de la médecine du travail (suite). La vie des Services de santé au travail (SST) : du mélange des diplômes à celui des responsabilités.
L’actuel ministre du travail, Michel Sapin, entend « que ses services soient très attentifs à l’application de la réforme » que le MEDEF et l’ancien gouvernement ont réussi à faire voter par le Parlement, contre, finalement, l’avis de toutes les organisations syndicales.
Les conséquences, les dégâts annoncés par les médecins du travail se manifestent.
La nouvelle organisation des services de santé au travail renforcent leur dépendance aux employeurs, la mainmise de ses derniers. Les médecins du travail, dont le nombre très insuffisant continue de diminuer, voient par ailleurs leurs missions diluées, confiées à d’autres catégories de personnel que ne bénéficient ni de leur compétence, ni de leur statut de travailleur protégé (des pressions patronales).
Nous reproduisons le communiqué du 10 novembre 2013 du groupement « Sauvons la médecine du travail » (http://www.slmt.fr )qui analyse, exemples à l’appui, la nouvelle situation. Il continue leur lutte, notamment le travail de sensibilisation des sections et militants syndicaux devant ce recul grave pour l’ensemble des salariés.
La vie des Services de santé au travail (SST) : du mélange des diplômes à celui des responsabilités.
« Rattaché directement à la direction de l’établissement le médecin du travail (h-f) prend en charge les salariés de son secteur, le candidat collabore avec une équipe composée de 3 médecins du travail, 4 infirmières, 4 secrétaires médicales, 1 ergonome, 4 assistants sociaux et 6 préventeurs […] parmi ses missions développer et coordonner des actions sur le terrain pour supprimer et/ou réduire les risques professionnels existants ». Cette annonce attrayante s’inscrit dans la ligne des dispositions légales et réglementaires nouvelles. De conseiller de l’employeur et des salariés, le futur médecin du travail qui sera embauché sur ce poste sera « rattaché directement à la direction » pour ce qui concerne son secteur. Il devra collaborer avec une équipe de 3 confrères et 19 intervenants divers dont on ignore qui la dirige. Serait- ce le directeur qui décidera de la nature des « actions sur le terrain » dont il sera chargé ? La mission du futur collègue consistera-t-elle à les mettre en œuvre ?
Le salarié qui consultera ce confrère lors d’une visite sera bien en peine de distinguer en sa personne le médecin du travail chargé de préserver exclusivement sa santé au travail, du subordonné de l’employeur !
Il est même possible qu’il ne rencontre pas un médecin du travail mais un médecin collaborateur ou un interne. En effet, ces professionnels en formation peuvent remplacer le médecin du travail pendant un arrêt de travail « lorsque la durée de l’absence est inférieure à trois mois » (Art. R. 4623-15) ou « dans l’attente de la prise de fonction d’un médecin du travail » (Art. R. 4623-28). Le salarié consultant ne pourra pas alors imaginer que le porteur de stéthoscope qui l’interroge « ne dispose ni de la protection contre la rupture de son contrat de travail dont bénéficie le (vrai) médecin du travail, ni du libre accès aux lieux de travail réservé au (vrai) médecin du travail »1. Il aura du mal à comprendre que le médecin collaborateur puisse, comme remplaçant du médecin du travail « exercer pleinement les missions de médecin du travail », mais, lorsqu’il ne le remplace pas, « ne peut pas prendre de décisions médicales assignées par le code du travail aux médecins du travail qui sont susceptibles de faire l’objet de contestation »1.
Le salarié qui viendra au SSTI pour une visite régulière pourra être pris en charge par une infirmière, et non par le médecin. S’agira- t-il d’un examen paramédical réalisé dans le cadre des pleines prérogatives de l’infirmière et sous son entière responsabilité? Ou d’un examen « de nature médicale » réalisé par l’infirmière dans le cadre d’activités confiées par le médecin du travail sous sa responsabilité et dans le cadre de protocoles écrits prévus à l’article R.4623-14 du code du travail ? Personne ne dira à ce salarié que les protocoles en question n’existent pas. Personne ne lui fera savoir que les personnels paramédicaux ne peuvent en aucune manière être crédités de compétences médicales, lesquelles ne sont reconnues qu’aux seuls médecins. Enfin, il n’imaginera pas que l’infirmière à laquelle il se confie ne dispose d’aucune protection effective contre les pressions patronales. A la fin de l’entretien, un document signé par l’infirmière lui sera remis sans aucun avis ni aucune préconisation concernant son poste. Comme l’avis d’aptitude du médecin du travail et l’attestation d’entretien infirmier se ressemblent à s’y méprendre, il pourra les confondre. C’est dommage, car ce document infirmier, contrairement à l’avis médical, ne lui apporte aucune garantie. Il ne sert qu’à l’employeur pour répondre de ses nouvelles « obligations » en matière de santé au travail. Il est même possible (notre illustration) qu’un quidam au statut inexistant de « stagiaire en santé au travail » se permette de signer un avis d’aptitude médicale.
Il pourra s’agir d’un « préventeur » comme les 6 présentés dans l’annonce ci-dessus. Ces personnels pourront interroger les salariés sur leurs conditions de travail, leurs vécus professionnels et même sur leurs difficultés personnelles, familiales, voire intimes. Les questionnaires de ce type fleurissent, notamment pour la soi-disant prévention des risques dits « psycho-sociaux ». Parmi ces personnels, certains seront qualifiés, d’autres non. Certains seront salariés du SSTI, d’autres des intervenants extérieurs. Que leur statut soit libéral ou salarié d’une entreprise de conseil, ils auront été choisis par l’employeur ou son représentant, le directeur du SSTI.
Le mystérieux salarié2 qui « apporte son aide à l’employeur pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail » (L. 4644-1 et R.4644-1 du code du travail) pourra, comme salarié du SSTI, se prévaloir de son organisation. Mais en aucune manière d’une caution du médecin du travail. En effet, celui-ci ne dirige ni l’équipe pluridisciplinaire, ni aucun de ses membres. Le mystérieux salarié peut également être choisi parmi les salariés de l’entreprise. Alors, un contrat signé avec l’employeur définira sa mission d’ersatz de CHSCT. Il se verra « garantir » par son employeur qu’il « ne peut subir de discrimination en raison de ses activités de prévention [et qu’il] assure ses missions dans des conditions garantissant son indépendance » (Art. R. 4623-37). Les membres de CHSCT authentiques apprécieront.
Dans l’entreprise, les salariés verront surtout, car le médecin du travail risque d’être « trop pris » pour effectuer ses 150 demi-journées par an (Art. R. 4624-4) d’étude des conditions de travail, de nouveaux acteurs chargés d’identifier ou non les risques professionnels. Il pourra s’agir d’un assistant en santé au travail, profession indéfinie et non qualifiée, mais qui « contribue également à repérer les dangers et à identifier les besoins en santé au travail, [...] participe à l’organisation, à l’administration des projets de prévention et à la promotion de la santé au travail et des actions du service dans ces mêmes entreprises » (Art. R. 4623-40). Les infirmières pourront également intervenir dans ce champ d’activité, soit dans le cadre de « leurs missions propres », [soit dans celui de] « celles définies par le médecin du travail, sur la base du protocole » (Art. R. 4623-30). Aux salariés de faire le tri. Pour le moment, en l’absence totale de ces fameux protocoles, toutes ces initiatives ne bénéficient d’aucune garantie.
Même la pseudo gouvernance paritaire des SSTI peut aboutir à des situations cocasses. La loi prévoit (Art. L. 4622-11) « un conseil [d’administration (CA)] composé [en nombre égal]: De représentants des employeurs […] De représentants des salariés. ». Chacun étant désigné par ses mandants. « Le président est élu parmi les représentants des employeurs », [et] Le trésorier est élu parmi les représentants des salariés ». Mais par qui ? Le Medef, à l’origine de la loi, des décrets et de la circulaire, n’a pas oublié la nature associative des SSTI. Ils sont toujours dirigés par l’assemblée générale (AG) des employeurs adhérents. Ce sont ces AG qui définissent les orientations et la politique du SSTI et qui chargent le CA de les appliquer.
En ce qui concerne le Conseil d’Administration, les employeurs participent à l’élection du trésorier (salarié) et sont en capacité d’imposer leurs vues, puisque le Président (employeur) dispose d’une voix prépondérante.
En ce qui concerne la Commission de Contrôle, le courrier adressé au Président de l’ASTA par la DIRECCTE de MIDI-PYRENEES, en janvier 2013, est édifiant : « Il doit être fait application des statuts de l’Association adoptés lors de l’assemblée générale extraordinaire en date du 28 juin 2012. Ainsi, selon l’article 14-2 : le président de la commission de contrôle est élu par l’ensemble de ses membres parmi les représentants des salariés ». En revanche, la DIRECCTE croit devoir ajouter que l’article D.4622-40, relatif au règlement intérieur de la commission de contrôle, prévoit qu’il précise « les modalités selon lesquelles les représentants des employeurs désignent parmi eux le secrétaire de la commission ». Ainsi, pour la DIRECCTE de MIDI-PYRENEES, le paritarisme doit distinguer, parmi ses membres les dominants et les dominés. Comme le ministre du travail, M Sapin, veille à ce que ses services soient très attentifs à la mise en application de la réforme 3, nul doute que cette lecture particulière des textes et du paritarisme ne lui a pas échappé. Les salariés savent maintenant que, dans cette forme de paritarisme nouveau validé par le ministre, leurs représentants sont désignés par leurs employeurs.
1 Circulaire du 9 novembre 2012 2 Le mystérieux salarié qui « apporte son aide à l’employeur pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail » Thomas KAPP, Le Droit Ouvrier Avril 2012 n° 765 3 Sa réponse du 22/11/2012 aux questions écrites des députés Alain Bocquet, et Daniel Boisserie, (communiqué SLMT n° 27) Le 10 novembre 2013 Groupement national Sauvons la médecine du travail contact@slmt.fr http://www.slmt.fr
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