Projet de loi Woerth : la négation de la prise en compte de la pénibilité du travail
Projet de loi Woerth : la négation de la prise en compte de la pénibilité du travail
Nous reproduisons ci-dessous un article et un dossier réalisé par les médecins du travail réunis dans le collectif "Sauvons la médecine du travail" sur le volet « pénibilité » du projet de loi contre les retraites.
Très complet, cet article montre comment la loi Woerth constitue la négation même de la prise en compte de la pénibilité du travail.
Les effets de la pénibilité sont mesurables par la réduction d’espérance de vie (sans incapacité) pour une profession. Le projet de loi confond délibérément pénibilité d’un métier avec l’invalidité individuelle résultant d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.
Il représente, au lieu de l’« avancée » annoncée, un recul pour tous les travailleurs.
Les salariés exerçant des travaux pénibles, sans handicap constaté, ou avec une invalidité inférieure à 20%, vont devoir travailler deux ans de plus ou pointer plus longtemps au chômage avec des indemnités amputées.
Les « travailleurs usés » que le projet de loi prend en considération, touchés par un taux d’invalidité supérieure à 20% conserveront uniquement la législation actuelle. 20% d’invalidité, cela correspond à un très faible nombre de salariés et à des accidents ou maladies graves : 2 doigts en moins ! Pas les troubles musculo-squelettiques !
Correspondant à la philosophie du Medef, le projet est aussi une négation de la prévention de la santé au travail. Là où la législation devrait pousser et obliger les entreprises à aménager les conditions de travail et financer des retraites anticipées pour compenser la pénibilité, le projet Woerth permet aux patrons de se débarrasser des travailleurs qu’ils ont exploités au point de ne plus être productifs avant 60, 62 ans.
En cohérence, à nouveau, le gouvernement tente de dévoyer la mission des médecins du travail à qui l’on confierait la tâche de constater l’invalidité en lieu et place des médecins de la Sécurité sociale. La médecine du travail, telle que son rôle a été définie à la Libération a pour mission de prévenir, dans l’entreprise, pendant toute la carrière des salariés, l’altération de la santé au travail et non de constater après coup les dégâts de l’exploitation patronale.
Cette analyse peut nous être utile à tous dans nos entreprises.
Le gouvernement a prévu d’ouvrir un contrefeu à la remise en cause de la retraite à 60 ans avec la question de la « pénibilité » sur laquelle il laisserait le Parlement obtenir « des concessions ». Cet article nous aide à comprendre que rien n’est négociable en la matière sur les bases du projet de loi et que la remise en cause de la retraite à 60 ans, avec l’allongement de la durée de cotisation, représente un recul pour tous, notamment pour les salariés exerçant des métiers pénibles.
Cet article est compété par un dossier « Retraite et pénibilité » (en lien) qui pose la question de société : Le réel enjeu de civilisation aujourd’hui n’est-il pas d’éradiquer toutes les conditions de travail usantes et dangereuses à court, moyen ou long terme, et dévalorisantes ? Ou alors, qui la Société doit-elle sacrifier et au nom de quels principes ?
A « deux doigts » de la retraite !!
Par le collectif "Sauvons la médecine du travail"
Pour faire passer sa réforme des retraites, dont il ne cache pas les motivations conjoncturelles boursières, le gouvernement nous présente son texte comme empreint d’une rare humanité. C’est tout le contraire. Car non seulement le texte d’Eric Woerth se moque de la pénibilité en l‘assimilant au handicap lourd, mais en plus, il ignore les effets induits du recul de deux ans de l’âge d’accès à la retraite sur la santé des salariés, leur possibilité à assumer les tâches de leurs postes de travail, et leur espérance de vie sans incapacité. Et pour comble, selon Sarkozy, ce sont les médecins du travail qui « évalueront l’usure des salariés » afin de leur permettre de « bénéficier » d’une retraite anticipée. Méconnaît-il les procédures en ce domaine, ou bien est-ce un nouveau rôle attribué au médecin du travail en lieu et place de sa mission actuelle, qui est d’éviter toute altération de la santé du fait du travail ?
Eric Woerth veut remplacer les dispositions existantes par une innovation pour les TU (travailleurs usés), et par ce qu’il appelle le « maintien » du dispositif dit des « carrières longues ». Ce « maintien » est un trompe l’œil, puisqu’il « tient compte du relèvement de l’âge légal de la retraite de droit commun. ». C’est-à-dire que les salariés ayant commencé à travailler à 16 ans ne pourront partir qu’à 60 ans. Belle avancée !
De même le dispositif de retraite pour inaptitude, qui n’est qu’évoqué dans le texte, risque d’être décalé de deux ans. Les personnes qui aujourd’hui peuvent partir à taux plein à 60 ans quand leur état physique réduit leur capacité de gain de 50% n’auront sans doute la possibilité de le faire qu’à 62 ans.
Le texte, évidemment, ne revient pas sur la liquidation en cours du droit à la dispense de recherche d’emploi. Avant la loi du 01-08-2008, les bénéficiaires d’allocation de chômage de plus de 57,5 ans pouvaient, pour des raisons de santé, être dispensés de recherche d’emploi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et la réforme Woerth compte bien n’y rien changer.
De la même façon, la réforme d’Eric Woerth s’accommode sans broncher de la mise en place des « cellules de Prévention de la Désinsertion Professionnelles », dispositif mis en place par la CNAMts sous injonction du Medef pour faciliter le licenciement des salariés en difficulté de santé.
Mais l’innovation de la réforme, c’est la retraite pour usure qui permettrait un départ à 60 ans à taux plein pour les salariés « usés par le travail » (TU). Cette disposition est scandaleusement présentée par le pouvoir comme en rapport avec la pénibilité du travail. En fait, elle n’a rien à y voir. En effet, la pénibilité du travail concerne les différences dans l’espérance de vie sans incapacité des salariés en fin de carrière, selon leurs métiers ou leurs postes de travail. Et la retraite des TU prévue par Eric Woerth ne s’applique qu’aux handicapés graves du travail, c’est-à-dire aux victimes d’accidents du travail (AT) ou de maladies professionnelles (MP) dont le taux d’invalidité permanente (IP) dépasse 20% dans le barème AT-MP.
Pour se justifier, le ministre s’abrite derrière des arguments qui ne tiennent la route ni sur le fond, ni dans leurs modalités.
Il prétend que « Pour être juste il faut qu’il s’agisse d’un droit individuel ». C’est l’inverse ; il est juste que toutes les personnes placées dans une même situation bénéficient des mêmes droits. Or, c’est loin d’être le cas.
Les victimes dont l’IP est comprise entre 10 et 20%, et qui pourtant sont considérées comme des « bénéficiaires de l’obligation d’emploi » (article L.5212-13 du code du travail), et dont certains sont reconnus Travailleurs Handicapés, seront exclus du dispositif.
Pour les malades de l’amiante (tableau 30 du RG) dont les IP moyennes (sauf pour les cancers) sont toutes inférieures aux 20% d’Eric Woerth, le système devient aberrant. En effet ils seront exclus du dispositif TU, mais pourront continuer de « bénéficier » de la cessation anticipée d’activité, et donc partir à 50 ans (avec environ 65% de leur ancien salaire), même si leur IP est inférieure à 5%.
Pour les victimes des maladies professionnelles les plus fréquentes, les troubles musculo-squelettiques (TMS du tab 57), le dispositif TU ne concernera qu’une très faible partie des malades, même si leur handicap ne leur permet plus de travailler. En effet le taux d’IP moyen pour ces maladies est de 10 %, et seules quelques maladies (moins de 1%) ont des taux d’IP moyens supérieurs à 15%.
Ces évaluations d’IP sont réalisées par les médecins conseils de sécurité sociale en fonction d’un barème indicatif. Par exemple, la perte d’un auriculaire (2 phalanges) vaut 4%, et pour 3 phalanges, 8 ou 7% selon la dominance. Celle d’un annulaire vaut 5 à 6% selon dominance pour 3 phalanges, et seulement 3% pour 2 phalanges. La perte de l’index ou du médius vaut 6 à 7% pour 2 phalanges, et de12 à 14% pour 3 phalanges. Il faut perdre les deux phalanges du pouce pour « espérer » dépasser les 20%. Pour la justice, encore un effort, docteur Woerth, d’autant plus que la réparation dans ces cas est forfaitaire, unique et définitive. Elle varie de 814 euros (IP =3%), à 2 442 euros (IP 7%) (D.434-1 CdSS).
Le ministre prétend que sa « prise en compte de la pénibilité » ne doit «pas coûter à la caisse retraite […] car il (le coût) sera assuré par un versement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles couvrant à due proportion les dépenses liées au dispositif de départ anticipé: par l’intermédiaire de la branche AT-MP ». C’est cette simplicité qui interdira évidemment les habituels transferts de charges des employeurs vers les caisses maladie.
Mais même dans cette hypothèse naïve, il faut ignorer tous les indicateurs disponibles pour oser affirmer que le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite puisse être sans conséquence financière. C’est au contraire à coup sûr une augmentation du nombre des invalidités et donc de leurs pensions. C’est l’augmentation des pathologies du travail non déclarées et non reconnues qui viendront peser sur les finances de la branche maladie.
Enfin, Eric Woerth présente sa retraite pour TU comme « compatible avec l’objectif d’améliorer les conditions de travail ». Il est certain qu’elle aura pour premier effet de créer un nouveau seuil d’IP à 20%, et donc de limiter l’évaluation des séquelles en deçà sous la pression des employeurs.
En fait, Eric Woerth se moque autant de la prévention que de la pénibilité, car à l’inverse de ses déclarations, c’est la vraie prise en compte de la pénibilité qui serait un facteur de prévention. Car elle encouragerait les employeurs, non pas à contester l’attribution des IP égales ou supérieures à 20%, mais à éradiquer les conditions de travail pénibles ouvrant droit au départ anticipé.
Commenter cet article