Casse de la médecine du travail : partie remise ? Elargir la mobilisation.
Casse de la médecine du travail : partie remise ? Elargir la mobilisation.
Le Conseil constitutionnel a invalidé 13 articles de la loi Woerth sur les retraites concernant la médecine du travail. Ils ne font donc pas partie de la loi promulguée par Sarkozy.
Le Conseil a considéré que cet ensemble d’articles constituait un « cavalier législatif », n’ayant pas de rapport avec l’objet du projet de loi.
Le coup de force du gouvernement, qui a rajouté ces articles par voie d’amendement à l’Assemblée, est ainsi sanctionné.
Les graves dispositions qui au nom de la prise en compte de la pénibilité ouvrent une voie dans la remise en cause de la définition des accidents du travail et des maladies professionnelles demeurent néanmoins (voir notre article).
L’ex-ministre Woerth s’est précipité, après la censure du Conseil constitutionnel, pour annoncer un nouveau projet de loi spécifique reprenant les demandes du Medef. Les sénateurs centristes ont déjà déposé une proposition de loi allant de ce sens.
C’est Xavier Bertrand qui avait lancé la « réforme » de la médecine du travail, la négociation avec le Medef dont les conclusions ont été rejetées par tous les syndicats. Il est de retour au ministère du travail.
Il est certain que la mobilisation, notamment des médecins du travail eux-mêmes, a permis de contrer le coup de force sur le fond.
Quelques semaines, quelques mois sont gagnés pour élargir la mobilisation, l’intervention des salariés, des militants syndicaux dans les entreprises pour mettre en échec cette contre-réforme et sauver la médecine du travail.
Nous reproduisons ci-dessous le dernier communiqué du groupement « Sauvons la médecine du travail ».
Communiqué SLMT n° 14
La sanction du conseil constitutionnel touche le texte, relatif à la médecine du travail, au fond.
Le texte voté par les deux assemblées pour réformer le système des retraites porte les marques du forcing politique mené par un gouvernement qui voulait imposer, à tout prix, le passage à 62 et 67 ans de l’ouverture des droits à retraite et retraite sans décote. Si ce changement relevait d’un souci réel de sauvegarder le système des retraites par répartition, il aurait été accompagné de mesures réelles visant à améliorer les conditions de travail, notamment pour les salariés vieillissants. Il aurait prévu une protection pour ceux qui subissent déjà les conséquences d’expositions passées à des contraintes qui diminuent leur espérance de vie sans incapacité. Non seulement rien de cela n’est envisagé, mais à l’inverse, le texte caricature la notion de pénibilité, se moque de l’évaluation des risques, et en outre, le texte voté par les deux assemblées introduisait au passage, en catimini, 13 autres articles, dictés par le Medef, qui détruisaient la médecine du travail.
Ce sont ces 13 articles que le conseil constitutionnel a sanctionnés.
Ainsi amputé, le texte signé nuitamment par Nicolas Sarkozy contient encore des dispositions discriminatoires. Le nouvel article L. 351-1-4 introduit des différences entre les salariés, victimes de Maladies Professionnelles et d’Accidents du Travail, ces derniers devant présenter « des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle ». Il crée, en outre, des différences de traitement pour les victimes de maladies professionnelles (MP) reconnues et indemnisées, entre celles dues « à l’exposition à des facteurs de risques professionnels», listées par décret, et les autres ; entre celles dont la reconnaissance en MP sera validée par « une commission pluridisciplinaire » et les autres ; entre celles reconnues au titre d’un tableau de MP, compatibles avec l’exigence « que l’assuré ait été exposé, pendant un nombre d’années déterminé par décret, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels » et les autres. Le nouvel article L. 4121-3-1 introduit une différence entre les salariés en possession de la «fiche » rédigée par le seul employeur et où figurent « les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé [et] la période au cours de laquelle cette exposition est survenue » et les autres, ceux que l’arbitraire patronal aura privés de cet Ausweis permettant d’obtenir de la « commission pluridisciplinaire » d’humiliation le « bon pour l’abaissement des conditions d’âge ». Le nouvel articleL. 4624-2 prévoit que le « dossier médical en santé au travail » soit transmis «en cas de risque pour la santé publique […]au médecin inspecteur du travail ». C’est contraire à la déontologie médicale. Les informations médicales sont secrètes, protégées par le médecin qui en est le dépositaire et le garant. Leur transmission, sauf cas légalement prévus (maladies à déclaration obligatoire), ne peut se faire que par la personne elle-même. Cette disposition illégale introduit donc une discrimination entre les salariés dont le statut permettrait cette exception à la protection du secret médical et les autres citoyens. La notion de risque pour la santé publique est une notion variable, fonction des objectifs décidés par le pouvoir du moment. Son utilisation, dans le domaine des pathologies professionnelles, pourrait permettre le transfert des responsabilités des employeurs aux pouvoirs publics et organismes de Sécurité Sociale, et ainsi d’exonérer les employeurs, responsables des conditions de travail, de leurs responsabilités financières et pénales. Rappelons que les maladies professionnelles ou présentant un caractère professionnel sont à déclaration obligatoire (Article L 461-6 CSS). Les élus de la majorité et Monsieur Woerth l’auraient-ils oublié ? En conséquence, les textes actuels, en application depuis 1946, prévoient déjà que toute pathologie liée au travail, qu’elle ait ou non une incidence de santé publique, est obligatoirement déclarée et donc portée à la connaissance des CPAM et médecins inspecteurs du travail, « en vue, tant de la prévention des maladies professionnelles que d’une meilleure connaissance de la pathologie professionnelle.. ». Quel est donc l’objectif réel de cet article L. 4624-2 ? S’agit-il de porter à la connaissance des autorités publiques des pathologies non professionnelles dont aurait connaissance le médecin du travail ?
Si le conseil constitutionnel n’a pas relevé ces anomalies du texte de loi, il a par contre sanctionné les articles 63 à 75 du projet de loi, qui sont donc absents du texte promulgué. Cette sanction n’est pas, comme le prétend E Woerth, motivée par des raisons de procédure purement formelle. Elle veille à éviter le coup de force législatif qui consiste à « introduire, en cours de discussion, des dispositions sans rapport, direct ou indirect, avec l’objet du texte ». Non, monsieur le ministre du travail, une telle sanction n’est pas formelle, car si vous avez eu recours à la technique du “cavalier”, pourtant sanctionnée à maintes reprises (Ex. articles 53, 82, 98 et 110 de la loi de finances rectificative pour 2009), c’est parce que vous vouliez imposer sans débat spécifique les modifications de la loi sur la médecine du travail que le Medef n’avait réussi à faire accepter par aucun syndicat
Les argumentations fallacieuses n’ont pas manqué, jusqu’à celles de Gérard Longuet qui, lors des discussions au Sénat, tentait de justifier ce « cavalier législatif » par le fait que les «médecins du travail définissent l’IP permettant l’abaissement des mesures d’âge pour le départ en retraite». Que cet élu puisse ignorer que ce rôle revient aux médecins conseils de sécurité sociale est étonnant. Si toutefois c’est bien le cas, la nécessité d’un débat spécifique à la réforme de la médecine du travail s’en trouve particulièrement justifié. La loi qui a créé la médecine du travail date de 1946. Depuis, les modifications apportées au fonctionnement de cette institution ont été faites par décrets. Que sous la pression du Medef, et profitant d’un rapport de forces favorable, certains élus de la République souhaitent modifier de façon majeure cette législation, peut se concevoir, de leur point de vue. Mais qu’ils tentent de le faire en catimini, sans débat spécifique, à la faveur de la pression politique liée à la question des retraites, ne peut être ressenti que comme une marque du mépris du sujet, des salariés pour lesquels la prévention médicale des risques professionnels a été instituée, et des professionnels de la santé au travail.
Non, Monsieur Woerth, l’avenir de la médecine du travail et de la prévention des risques professionnels n’est pas une question de détail ou de forme qu’il serait possible de régler en resservant sur une autre assiette le plat renvoyé en cuisine. Ce serait une faute. Les dispositions législatives prises apparaîtraient clairement comme résultant de basses manœuvres téléguidées par le MEDEF et les plus rétrogrades des élus.
La législation qui préside à l’organisation de la prévention des risques professionnels que subissent 20 millions de salariés tous les jours pendant 40 années de leur carrière mérite bien, une fois tous les soixante ans, que les élus de la République y consacrent un temps de réflexion et de discussion. La médecine du travail vaut bien au moins cela ! !
Les médecins du travail, et singulièrement les signataires de l’appel « SAUVONS LA MEDECINE DU TRAVAIL, se mêleront de ce qui les concerne et prendront toute leur place dans ce débat.
Groupement « SLMT
Paris le 12/11/2010
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